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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 07:16



Une maison que l'on vide.
Des tableaux que l'on décroche. Des albums que l'on feuillète. Des photos que l'on retrouve, d'autres que l'on découvre. Des visages aimés, des moments, des odeurs, des émotions, des souvenirs, des souffrances, des rires... Des doigts tremblants qui dessinent sur la poussière des signes impatients. Des vies qui se recomposent, des papiers jaunis, des lettres avec des mots agiles dessinés à la plume Sergent Major. Des choses cachées, d'autres connues, certaines qu'on voulait oublier et aussi celles qui déclarent de l'amour ou des hostilités ou encore des chagrins. On vide. On carresse doucement ce qu'auparavant on ne faisait que toucher sans émotion. Le lit, l'armoire, la robe de chambre pendue. Vide à l'intérieur. Le tablier, le châle parme, les accoudoirs du fauteuil. La bibliothèque, fourre-tout fantastique, la canne patinée, le déambulateur bleu. On vide.

Une maison que l'on vide. Cohabitation géniale et aimante des générations. La mémé au tablier noir à fleur mauve. Aux cheveux si gris. Qui tartinait en souriant le pain du matin. Qui nous accompagnait à la porte en nous donnant le cartable et le dernier baiser. Qui nous immunisait à vie contre la fatigue avec un verre quotidien de Quintonine étrangement euphorisante. Qui nous mettait les chaussons au chaud dans le tiroir de la cuisinière pour le retour de l'école. Le pépé, taquineries et chamailleries, yeux pétillants de bleu sous un béret tiré sur le devant, espiègle et farceur, les parties de belotes, de dames, le potager, le poulailler, la vigne... Les repas de vendanges sous le barnum blanc... chants, rires, entraide, amitiés, inoubliables moments de pleine vie...



Une maison que l'on vide. Des jeux de gamins, des cris, des réprimandes, des découvertes, des bêtises, des coups de poing, des pleurs, des cicatrices, des initiations à l'autre, des mystères... La tonnelle à l'épaisse vigne vierge, le portique et ses anneaux impossibles, la cabane aux copains, le bassin où "mouchaient" les ablettes pêchées à Garonne, le puits et son eau fraîche. Le cerisier. Les conversations des "grands" sous son ombre estivale. Le poulailler où j'embrassais à cinq ans ma voisine enfin conquise. Notre secret éternel. Je n'avais pas dutout aimé le goût de sa bouche. Ou peut-être l'odeur du poulailler. Bon, les conditions n'étaient pas idéales, j'en conviens. Je n'ai jamais su vraiment choisir les décors à mes idylles. Et puis les champs tout autour. A peine assez grands pour nos jeux de gosses. Où aujourd'hui ils ont semé des maisons. Et puis à mes dix ans, ces départs douloureux et cruels du dimanche soir, vers un pensionnat lugubre où j'avais choisi, inconscient et salement manipulé, de sacrifier de bien belles années. Engelures. Crevasses. Douleur indélébile. Tellement froid au coeur.


Une maison que l'on vide. Où chacun s'était fait ses coins et recoins. Où chacun emporte ses secrets, ses moments, entassés ça et là, invisibles à l'autre mais tellement là pourtant. Il y a des douleurs, des pleurs, des chagrins par ici. Sans doute des étreintes folles, des rires, des éclats de joie par là. Par une nuit froide et pluvieuse d'hiver, une femme, belle et douce, est ici venue m'aimer comme je le souhaite au monde entier. Passionnément. M'a donné la preuve insensée de l'élan merveilleux. Elle m'a dit des mots tellement simples, pleins de miel, plein de cet amour qu'elle puise généreusement au fond d'un coeur gorgé de tendresse. Donné des caresses et effleurements célestes et inoubliables. J'ai senti qu'elle me confiait ce qu'elle avait de plus beau. Je vous jure que je n'ai pas rêvé. Au matin, j'ai pu suivre ses pas encore mouillés qui partaient vers là-haut, tout là-haut. J'ai cru voir une étoile qui défiait le jour. Ou était-ce un papillon tellement coloré et brillant? Je vous jure que je n'ai pas rêvé. Si? vous croyez? Les anges sont tellement malins...


Une maison que l'on vide. Des repas de familles sans fin, des tablées d'amis bruyants, des engueulades mémorables, des embrassades innoubliables. L'assiette toujours mise pour le pauvre ou le chemineau. Des coeurs sur la main... Des mains sur les coeurs... à la vie, à la mort. Et de la musique. La trompette de papa, le violon de maman et nos piano, guitares, flûtes, saxophone et le terrible "Mélodica" jamais vraiment maîtrisé par la frangine. Machine infernale. Et des chansons. Des mélodies. Le premier poste à transistors. Marron. Et puis des chansons. Et encore des chansons. Et aussi ce petit crabe puant, boulimique de nicotine que papa a engraissé jusqu'à l'overdose. Jusqu'à ne plus avoir ce souffle magique pour faire chanter sa trompette et nous dire ses bons mots. Mais il avait eu le temps de nous apprendre la joie en l'autre, l'amitié sincère, la solidarité, le respect et la confiance en la vie, l'amour du prochain... donner pour recevoir. D'abord donner... laisser toujours sa main ouverte pour que s'y pose doucement une autre.

Une maison que l'on vide. Parce que Ginette à la voix d'or est partie. Elle ne nous appelle plus du fond de ses errances par ces nuits infernales et tourmentées. Les derniers petits déjeûners matinaux, deux tartines confitures et la tasse bretonne bleue avec un peu de café, sa plâtrée infâme de cachets qu'elle avalait d'un coup, étaient le bonheur qu'il fallait déguster précieusement. Juste avant que les malins reviennent. Voilà, elle est partie. Simplement. Pas ces saloperies de démons qui jouaient à dérégler sa cervelle qui l'ont eu. Elle était bien trop maline. Non. Elle a décidé de s'en aller. Toute seule. Un point c'est tout. Je sais qu'elle a fait bonne route. J'ai cru apercevoir quelques signes que j'attendais. Me voilà apaisé.


Une maison que l'on vide. Que l'on nettoie. Que l'on brique. Que l'on veut accueillante. Pour que d'autres y déposent à leur tour leurs vies, que des boucles blondes envahissent le jardin, crient, inventent, se construisent des cabanes, des endroits secrets, des premiers baisers, fassent des bouquets éclatants des roses ressuscitées et des lilas multicolores renaissants, se fassent des serments fous sous l'olivier confident par des jours ensoleillés de printemps... et vivent bienheureux. Bienheureux. Pour que se perpétue encore la magie de ce lieu d'amour.

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commentaires

M
<br /> Comme c'est bizarre. Cette lecture me ramène à ma tendre enfance. Tendre et surtout heureuse. Une addition qui se termine toujours par une note douloureuse. Parce que toutes les mémés décrètent un,<br /> jour la fin de leur générosité. Elles s'en vont et nous laissent avec nos souvenirs. Ceux qui nous faisaient sourire et maintenant coulent au coin des yeux. Etrange toutefois que l'on se soit<br /> connus si tard alors que nous avons eu la même maison, les mêmes jeux et, surtout, la même mémé ! Vraiment étrange...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> ... je comprends tout, cette ressemblance pileuse, cette agile vélocité commune sur les marathons de France et de Navarre, ce sens du verbe pimenté de dérision, cet humour acerbe, cette générosité<br /> désintéressée, ces amas de muscles qui déforment nos vêtements... reconnu vieux frère!!<br /> <br /> <br />
V
<br /> tout simplement merci pour ces mots qui font encore mal mais qui réconfortent aussi. continus d'écrire pour nous faire partager toutes ces belles émotions qui nous rappelent que la vie est belle<br /> malgré tout. Je t'embrasse Valérie<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Je sais bien que tu as aussi au fond de toi ces mots communs... alors rendez-vous dans tes lignes futures.<br /> Je t'embrasse aussi.<br /> <br /> <br />
E
<br /> C'est somptueusement triste. Un chagrin qui s'enroule dans toutes ces images inoubliables et inoubliées, et qui le nourriront si bien qu'il deviendra action de grâce pour ce long ruban d'amour, de<br /> saveurs, de murmures et chants, de goûts de baisers, dans ce bel emballage maison que l'on vide ...<br /> <br /> Avoir de la peine, c'est toujours grandir et construire du bonheur.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Pourquoi faut-il que j'aime toujours ce que tu écris ? Voilà,  tes mots se posent et vont là où ils doivent aller... c'est si simple. Tu devrais écrire un roman... ah bon c'est déjà fait?...<br /> quoi? Les Romanichels?... déjà lu... non, je parle du suivant...<br /> Merci pour tes mots, tes encouragements, ta belle vision de la vie et à très bientôt de te lire.<br /> <br /> <br />