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9 novembre 2009 1 09 /11 /novembre /2009 08:15






Pour venir chez moi, c'est facile. C'est la propriété là-haut sur le plateau où il n'y a ni barrière, ni clôture, ni chien de garde, ni mirador, ni barbelés, ni mur d'enceinte avec des tessons de bouteilles dessus...

A chemin ouvert, coeur ouvert...

Bon voilà. Je ne vais plus voir mon pote. Il sait pourquoi. Sa porte, autrefois souvent entrouverte, où j'allais frapper pour échanger deux mots en passant, prendre des nouvelles, parler de tout et de rien, défaire et refaire le monde, est désormais inaccessible et trop éloignée de ma conception de l'ouverture à l'autre. Un mur d'enceinte à défier les meilleurs escaladeurs de la planète surmonté d'une grille à piques accueillantes pour les fessiers en infraction, un portail réplique de celui de la prison de la Santé, un digicode et interphone par lequel je dois lister mon curriculum vitae pour montrer patte blanche, auquel s'ajoute une caméra vidéo avec un écran déformant sur lequel Adriana Karembeu prendrait la tendresse de Frankeinstein. Manque plus que le distributeur de gants en latex pour ne pas contaminer le mouchard. Le tout rélié à des services de sécurité, eux-mêmes reliées à la gendarmerie, elle-même reliée au ministère de l'intérieur, lui-même relié...
Alors je passe devant chez lui sans même ralentir. Comme ça, pas besoin de me maquiller pour être convenable devant sa foutue caméra cachée. Pas 25 mn à perdre pour atteindre enfin sa poignée de main...

Quelques kilomètres plus loin, une autre caméra lâchement dissimulée derrière un pare-brise teinté d'un véhicule banal, même pas les couilles d'un type en uniforme, me tire le portrait sur cette ligne droite en ville, sans danger. 56 au lieu de 50. Sans danger, mais rentable. Pas comme les virages dangereux un peu plus loin. Dangereux mais pas rentables. Faut savoir ce qu'on veut. Prévention bidon. Pognon dans le cochon. Cherchez pas les couillons.

Descente dans le parking souterrain. Les yeux sécuritaires sont partout. Montés sur axes. Ils pivotent et suivent mes faits et gestes. J'ai hésité à me gratter l'entre-fesse. Là où ça nous démange toujours à un moment donné de notre vie. Jamais au bon moment. Tant pis je l'ai fait. Le type dans sa cabine de contrôle doit le faire aussi. C'est contagieux. Comme regarder baîller quelqu'un.




Me voilà dans la rue. Au grand air. Les gens se sont habitués aux caméras de vidéo surveillances qui râtissent le boulevard. Ils déambulent, feignant l'indifférence, comme si de rien n'était. Pas moi. Alors je me regratte. Mais je change d'endroit. pour varier un peu le cadrage et ne pas être pris toujours sous le même angle. Je choisis mon trottoir en fonction de mon côté le plus photogénique. Plus de délinquance sur le boulevard. Elle s'est déplacée de quelques mètres, là où l'oeil de Moscou ne peut lorgner, même en se tordant le cou. Ce sont des caméras pour honnête gens. Voilà tout. Bon je traverse la rue tranquillou. C'est limité à 30 km/h. Pratique. Tu déposes ta femme au début du boulevard. Quand tu arrives à l'autre extrémité, elle t'attends et elle a fait toutes les courses.

Les courses. Quand tu rentres dans le magasin, la première étape est le vigile qui te regarde avec une tendresse immédiate et te toise de la semelle jusqu'à la tonsure. Alors là tu te sens un peu nu. Mais non, ne sois pas inquiet, lève la tête doucement, elle sont là les caméras qui rassurent. Alors toujours faire un petit bonjour au type qui se fait chier dans sa cabine aux 40 écrans. Si tu peux lui faire un petit grattage du nez, tu peux lui montrer ensuite le bout du doigt, qu'il voit qu'il est bien propre, ça le distrait un peu. Il a l'impression de regarder une émission de télé-réalité sur TF1.




Tu payes avec ta carte bleue qui contient les infos d'une belle partie de ta vie qui se retrouve dans des fichiers qui sont vendus à des acheteurs de fichiers qui les revendent à des acheteurs de fichiers qui les revendent... ta vie dans une puce. Alors tu te regrattes. De moins en moins discrètement.
Un groupe de jeunes filles en excitation pré-pubère te croise, éclate de rire, et te filme de haut en bas à l'aide de leur "portable" dernier cri aux options frigidaire, rôtissoire, télévision, fer à repasser, et accessoirement téléphone. Tu te sens Kevin Costner du boul'. Avec tellement d'émotion. La reconnaissance. Enfin. Mes premières groupies. Elles continuent de rire plus généreusement en montrant alors tes pieds du bout de leurs doigts moqueurs. Et là. Coupez les caméras. La honte. Erreur de la styliste. Appelez-moi l'accessoiriste incapable. Me voilà en chaussons au milieu de leurs sarcasmes. Et ceux troués à mon oeil de perdrix et qui me servent les jours où j'ai envie de rien et que je veux le montrer à tout le monde. Un bon comédien ne doit pas être étourdi, leçon première. Bon, ils me mettront des santiags vernies au montage.

Tu dois aussi aller à ta banque. Sas de sécurité, caméras non dissimulées pour bien te montrer que tu n'as aucune chance de récupérer tes agios, frais de dépassement, frais de gestion, frais d'escroqueries divers et variés, frais de.... Et puis l'odeur en plus. L'argent n'a pas d'odeur. Les banquiers de plus en plus.



Bon, si tu te débrouilles bien, tu peux être fimé dans une journée autant de fois que Monica Belluci. Sans le cachet qui va avec. Faut pas exagérer non plus. Même à la Poste, tu te vois sur l'écran. Bon de loin, parce qu' avec la queue qu'il y a... Au début je croyais que les gens venaient pour se voir dans la télé au dessus du guichet. S'ils étaient bien coiffés, la mèche rangée, tout ça...et un jour, j'ai vu que la queue avançait. En fait le jeu, c'est d'arriver au guichet avant la fermeture. Il parait qu'un jour il y a eu un gagnant. Bon, c'était il y a longtemps. Les gens sont tellement joueurs.

Tu peux ensuite commander au Centre Départemental des Visionneurs Sécuritaires, soit un long métrage, soit une série d'épisodes : les aventures de Pilou à la banque, Pilou sur le boul', Pilou et la voiture banalisée, Pilou... enfin c'est plus belle la vie. Mais en mieux. Et cette fois-ci, c'est la tienne.

Tu rentres ensuite chez toi crevé. Parce qu'acteur c'est un métier. Et là tu reçois un sms de ton voisin. 
"Eh, branche-toi vite sur ta webcam, j'ai à te parler...!"
Alors tu réponds avec le flegme de la star de la télé(surveillance) que tu es en train de devenir et qui commence à sentir monter la pression médiatique : 
- Bon, alors tu sors de chez toi, tu prends à droite, tu fais 150 mètres avec tes petites jambes musclées, tu montes le petit chemin qui sent la noisette et tu pousses la porte toujours ouverte et avec un peu de chance, je serai là. Sinon, je serai par là-haut en train de "lever" les oeufs des poules où assis sous le chêne avec mon chat. Si tu es fatigué par cette expédition dans des conditions extrêmes, je t'offrirai une San Miguel bien fraîche. C'est promis!

Voilà, en attendant, si j'avais mis des caméras sur le chêne près duquel je me suis soulagé et un discret écran vert chlorophylle assorti, avec ma manie de regarder toujours en l'air voir discuter les écureuils, je ne me serais sûrement pas pissé sur les charentaises... les neuves celles-là! Il y a des jours comme ça....

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